Cabinets d’avocats, l’urgence financière
Huit mois après le début de la crise sanitaire couronnée par le confinement de tout le pays, le barreau d’affaires se montre particulièrement résistant. Sauf nouvelle catastrophe imprévisible, les cabinets d’avocats devraient tenir la barre les prochains mois, et cela grâce à leur réactivité face à une situation inédite. Revue des actions menées et des erreurs à ne pas reproduire.
Plus de peur que de mal. L’expression résume assez bien l’état de santé financière des cabinets d’avocats depuis le déclenchement du confinement et jusqu’aux semaines qui ont suivi la reprise. Les conséquences économiques de la crise sanitaire sur le barreau d’affaires ont été contenues : quelques structures ont licencié ou mis fin à des contrats de collaboration, mais le nombre de postes touchés n’est pas comparable avec celui des »charettes » qu’a connu le monde du droit après la crise de 2008. Cela s’explique par deux types d’actions menées au sein des cabinets : les premières sont d’ordre financier, avec l’adoption de tout un arsenal de mesures économiques, les secondes sont liées à la communication, un élément central qu’il ne fallait surtout pas laisser de côté, même à défaut de temps à lui accorder dans la tempête.
Révision des prévisions budgétaires
Souscription d’un prêt garanti par l’État (PGE), aménagement voire suspension de la rémunération des associés, chômage partiel des salariés, report des bonus et primes et recouvrement actif des créances ont été les principales actions menées dans un premier temps en mars 2020. Certains cabinets ont même demandé aux associés de « remettre au pot », avec la promesse d’un rééquilibrage dans le courant de l’année. Dans ce contexte, les structures plus touchées par la crise sont celles à la trésorerie fragile, c’est-à-dire celles qui ne se sont pas assurées de disposer de plusieurs mois d’avance sur leur exercice financier. Ce qui n’est pas le cas de ceux qui sont structurés comme une entreprise. De Gaulle Fleurance & Associés par exemple : « Nous avons révisé nos prévisions budgétaires avec le collectif d’associés, témoigne Louis de Gaulle. En conséquence, nous avons décidé d’adapter en partie la rémunération des associés et des senior counsels (des quasi-associés) à cette nouvelle prévision sans toucher à la rétrocession d’honoraires des collaborateurs. Cet aménagement n’était pas définitif puisqu’il prévoyait une clause de retour à meilleure fortune permettant un rattrapage de tout ou partie de la rémunération voire plus si les performances sont supérieures à celles de l’an passé. » En d’autres termes, ce sont les associés les mieux rémunérés qui ont dû faire les efforts financiers les plus importants, mais il n’a pas été demandé de refinancer le cabinet.
Même son de cloche chez Osborne Clarke, un cabinet membre du réseau international éponyme organisé en verein, offrant à chaque bureau local une autonomie complète en matière de gestion financière et de politique de rémunération. Son co-managing partner, Catherine Olive, revient sur les mesures adoptées en mars dernier : « Au début du confinement, le rythme des encaissements s’est très significativement ralenti. Nous avions une certaine marge de manœuvre en termes de trésorerie, mais avons décidé tout de même, par prudence et en concertation avec l’ensemble des associés, de reporter les versements des rémunérations variables trimestrielles des associés. Après ce fort ralentissement initial, nos clients ont joué le jeu et le rythme des encaissements a repris normalement dès la mi-avril. » Dans ces deux cabinets, un PGE a été pris « au cas où », c’est-à-dire que la somme empruntée a été mise de côté. Notre sondage permet de préciser les choses : 31 % des répondants affirment avoir bénéficié de cette aide exceptionnelle.
Bruits de couloir
Au-delà de ces quelques données très précises, nombreux sont les avocats à être restés silencieux sur les décisions adoptées en réaction à la crise sanitaire. Sollicités, plusieurs n’ont pas souhaité participer à notre sondage ou répondre à nos questions. Le terrain idéal à la propagation de tous types de rumeurs. Une firme globale aurait obligé ses collaborateurs à envoyer un mail portant renoncement d’une partie de leur rémunération afin de participer « à l’effort collectif ». Un important cabinet français aurait réduit les rétrocessions d’honoraires à hauteur du montant des charges professionnelles reportées par l’Ordre. Une boutique américaine aurait licencié son staff et résilié de nombreux contrats de collaboration. Certains observateurs estiment d’ailleurs que les avocats sont nombreux à vivre dans une cage dorée et que la crise n’a fait que mettre le doigt sur leurs conditions privilégiées.
Parmi les répondants à notre sondage, 5 % souhaitent quitter leur structure parce qu’ils ne partagent plus la vision des associés pour la gestion de la crise
Une chose est sûre : nombreux sont ceux qui ont profité de cette période pour remettre à plat leur organisation, leur système de rémunération, leur mode de financement, notamment après avoir connu des conflits entre associés. Quelques-uns cherchent à adopter une charte de valeurs, comme Claisse & Associés qui s’est doté d’une raison d’être en septembre. D’autres revoient leurs règles de gouvernance, notamment lorsque les fondateurs ne se sont pas montrés à la hauteur durant cette période difficile. Mais, pour mener une restructuration, il faut à la fois y consacrer le temps nécessaire et parvenir à un accord au sein du collectif d’associés. Dépourvus de l’un ou de l’autre paramètre, certains ont choisi de changer de maison, en privilégiant souvent celles qui intègrent une démarche globale d’offre de services au-delà de l’objectif de rémunération. D’ailleurs, parmi les répondants à notre sondage, 5 % souhaitent quitter leur structure parce qu’ils ne partagent plus la vision des associés pour la gestion de la crise. Constance Philippon enfonce le clou : «Certains départs d’associés sont clairement dus à l’absence ou à la mauvaise communication du cabinet.»
Improvisation des solutions
Pour éviter les frustrations et les mésententes, rien de mieux que d’organiser le dialogue et l’échange, ne serait-ce que pour répondre aux interrogations. Car un autre constat de fond est très parlant : la crise n’aurait en réalité qu’exacerbé des tensions déjà préexistantes dans certains cabinets. Pour Constance Philippon, « il y a un avant et un après Covid-19 dans la relation des avocats avec leur cabinet. La diminution de la rétrocession d’honoraires a été très bien vécue et comprise par certains, alors que pour d’autres pas du tout. Il faut parier qu’avant même le début de la crise, leur stratégie de communication n’était pas bien huilée. »
Il est vrai que le contexte n’était pas favorable à la détermination d’une vision claire des événements : « Chaque structure improvise des solutions avec la visibilité que nous avons tous, laquelle est très réduite et alimentée par des décisions politiques qui peuvent être contradictoires d’une semaine à l’autre », analyse Roland Dana, associé gérant du cabinet DHC. Difficile donc d’établir une stratégie de communication qui tienne la route sur la durée. Quoi qu’il en soit, il vaudra mieux toujours communiquer plutôt que de garder le silence. « Nombreux sont ceux qui, collaborateurs comme associés, ont souffert d’un manque criant de communication de la part des gérants depuis le début de la crise sanitaire. Si la communication externe est très importante, la communication interne l’est tout autant et certains ont pu même avoir l’impression que leur board se cachait derrière la crise pour prendre unilatéralement des mesures fortes, en particulier sur leur système de rémunération », confie Roland Dana. La conclusion est sévère : en cas de défaut de communication, c’est le pire qui est envisagé par les équipes. La crise se révèle être un test grandeur nature des capacités de chacun à faire et à dire ce qu’il fait.
Décideurs Magazine, 04-11-2020